DARWIN : LA BIODIVERSITÉ ET L'ÉVOLUTION DES ESPÈCES 

En présentant cette exposition sur les PAPILLONS pour une NATURE durable à la Médiathèque Municipale de Brive  (du samedi 4 avril au samedi 25 avril 2009), on ne peut pas ignorer que cette année 2009 voit la  commémoration du bicentenaire de la naissance de Charles Darwin (1809-1882) et  le cent cinquantième anniversaire de la sortie de son maître-livre « De l'origine des espèces  » qui connut immédiatement un énorme succès et souleva des controverses devenues historiques.
 
Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) un demi-siècle plus tôt, commença par sa théorie  du transformisme à ébranler les représentations chrétiennes de la Nature qui s'imposaient alors. Dans notre département, Pierre-André Latreille (1762-1833), qui devait beaucoup  au précédent, fut l'un des fondateurs de l'entomologie.

Jean-Baptiste Lamarck  

Pierre-André Latreille
  
La biodiversité est intimement liée aux mécanismes de la théorie de l'évolution de Darwin.
La biodiversité n'est pas un catalogue d'espèces à la Prévert et l'espèce n'est pas  l'unité de cette biodiversité.
Dénombrer les espèces permet tout de même de se rendre compte des divers chemins que la vie a suivi pour amener le foisonnement de celles ci dans notre monde,
Robert Barbault (directeur du département d'écologie et de gestion de la biodiversité au Muséum d'histoire naturelle) appelle cela le « succès de la vie », attesté par la présence d'êtres vivants qui constitue le tissu vivant de la planète dont la complexité du système est régi par la variabilité dans l'espèce , les relations qui les lient et leurs capacités à coévoluer.
La notion de sélection naturelle a été appliquée dans des domaines très différents qui englobent nature et société, avec parfois les dérives dangereuses (eugénisme) pour la dignité humaine.
Mais en agriculture les paysans la pratiquent depuis leurs débuts immémoriaux pour obtenir un « produit » déterminé par leurs propres critères; C'est ainsi qu'ils ont créé une incroyable diversité de variétés et d'espèces domestiques.

Au cœur de cette procédure il y a le couple variation-sélection  de la théorie darwinienne qui laissent les variations d'une espèce s'exprimer puis la sélection naturelle se charge d'en faire le tri avec l'écoulement du temps.
On assiste aujourd'hui avec les nouvelles techniques de sélection des grandes multinationales de l'agroalimentaire à un renversement fondamental du processus décrit par Darwin puisque ces sociétés proposent un petit nombre de variétés qui seront placées dans un environnement  naturel dont le rôle est inversé car c'est lui qui devra s'adapter aux conditions de culture et soumis aux insecticides, pesticides et engrais.
En prétendant que ces technologies résoudront le problème de production, celles-ci pratiquent une » agriculture minière «  qui exploite les ressources sans les renouveler.
Darwin nous montre que l'avenir d'une espèce (et de sa lignée) tient à sa variabilité c'est à dire présentant des individus avec des caractères différents, ce qui signifie qu'il faut un seuil important de populations au sein de celle-ci pour que l'espèce perdure : il est un peu illusoire donc de garder çà et là des individus isolés dans le tradition de la mythique Arche de Noé pour croire avoir un esprit de conservation.
Darwin observa 13 variétés de pinsons équipés de becs plus ou moins gros, en explorant les diverses Iles des Galapagos, et plus tard quand John Gould établira qu'il s'agissait là d'espèces différentes (parmi les 14 que recèle le monde) et non de variétés, Charles a pu   se dire en buvant le café à propos de cela : «  Les variétés sont des espèces naissantes ».  

  Les différents becs des pinsons des iles Galapagos

                         
    Pour revenir aux Papillons et illustrer la puissance de la théorie de l'évolution, voici l'histoire du papillon prédit :
   En 1862,  Charles Darwin publia un ouvrage sur la biologie des orchidées.
Il remarquait qu'un groupe d'orchidées était pollinisé par des insectes spécifiques. Une de ces orchidées, Angraecum sesquipedale, originaire de Madagascar, découverte au début du dix-neuvième siècle par le botaniste Du Petit-Thouars, se caractérisait par son très long éperon :

"Dans plusieurs fleurs que m'a envoyées Mr. Bateman, j'ai trouvé des nectaries de onze pouces et demi [29 cm] de long, avec seulement le pouce et demi inférieur [4 cm] rempli d'un nectar très doux. [...] Il est cependant surprenant qu'un insecte soit capable d'atteindre le nectar : nos sphinx anglais ont des trompes aussi longues que leur corps; mais à Madagascar il doit y avoir des papillons avec des trompes capables d'une extension d'une longueur comprise entre dix et onze pouces ! [25-30 cm]" (Darwin 1862).

    Darwin fit ensuite une expérience sur cette orchidée. Il prit un cylindre, d'un dixième de pouce (2,5 mm) de diamètre, et l'introduisit dans le rostrellum :

    "De cette façon seulement, je réussis à chaque fois à ramener les pollinies; et on ne peut pas douter, je pense, qu'un grand papillon doit agir ainsi; à savoir en introduisant sa trompe jusqu'à la base, à travers la fente du rostrellum, de façon à atteindre l'extrémité de la nectarie; et ensuite en retirant sa trompe avec les pollinies qui s'y sont collées."

Cet insecte affecterait évidemment la fertilisation de l'orchidée, et Darwin concluait par la survivance de cet insecte sur la base d'arguments écologiques :

 "Les pollinies ne seraient pas enlevées tant qu'un énorme papillon, avec une trompe extraordinairement longue, n'essaye pas de faire couler la dernière goutte. Si ces grands papillons venaient à s'éteindre à Madagascar, assurément l'Angraecum s'éteindrait aussi."  

 Dans une lettre publiée dans le numéro du 12 juin 1873 de Nature, W. A. Forbes demanda aux lecteurs de ce prestigieux magazine scientifiques britannique, s'ils avaient connaissance de l'existence de tels papillons à Madagascar. Et il avança une identification :

"Ce sont probablement des sphingidés de quelque espèce, car aucun autre papillon ne pourrait combiner une taille et une longueur de trompe suffisantes." (Forbes 1873).

   Herman Müller, dans le numéro du 17 juillet de la même année, fit savoir que son frère avait ramené du Brésil un sphinx "dont la trompe a une longueur de près de 0,25 mètre", démontrant que le papillon de Darwin n'était nullement impossible (Müller 1873).

    Dans la deuxième édition de son livre (1877), le père de la sélection naturelle s'appuya sur cette découverte, en faisant cette remarque :

"Ma croyance [en un tel papillon] a été tournée en ridicule par certains entomologistes, mais nous savons maintenant grâce à Fritz Müller qu'il y a un sphinx dans le sud du Brésil qui a une trompe d'une longueur presque suffisante, car quand elle était sèche, elle avait entre dix et onze pouces [25-27 cm] de long. Quand elle n'est pas érigée, elle est enroulée en une spirale d'au moins vingt tours." (Darwin 1877).



Le papillon Xanthopan morgani praedicta et l'orchidée Angraecum sesquipedale  (photo : Marcel Lecoufle, 1981)
Entre-temps, Alfred Russel Wallace, un des disciples de Darwin et le père de la biogéographie, commenta lui aussi longuement cette orchidée, d'abord dans un article pour le Quarterly Journal of Science en 1867, puis dans un livre intitulé Contributions to the theory of natural selection en 1871, et il en vint à la même conclusion :

"Chez Angraecum sesquipedale, il est nécessaire que la trompe soit forcée dans un endroit particulier de la fleur, et ceci n'est fait que par un très grand papillon enfonçant sa trompe jusqu'à la base même, et buvant le nectar du fond du long tube, dans lequel il n'occupe qu'une profondeur d'un ou deux pouces [2,5-5 cm]."

 Wallace suggérait même une co-évolution de la plante et de son insecte pollinisateur, et il fit un rapprochement qui devait s'avérer judicieux :

"Je puis mentionner ici que certains grands sphinx des tropiques ont des trompes aussi longues que les nectaries d'Angraecum sesquipedale. J'ai mesuré avec soin la trompe d'un spécimen de Macrosilia cluentius [=Cocytius cluentius] d'Amérique du Sud, dans les collections du British Museum, et j'ai trouvé qu'elle avait neuf pouces un quart [23,5 cm] de long ! Un d'Afrique tropicale (Macrosilia morgani) [=Xanthopan morgani] a une trompe de sept pouces et demi [19 cm] de long et pourrait atteindre le nectar des plus grandes fleurs d'Angraecum sesquipedale, dont les nectaries varient de dix à quatorze pouces [25-30 cm] de long. 
  Qu'un tel papillon existe à Madagascar peut être prédit avec sûreté ; et les naturalistes qui visitent cette île devraient le chercher avec autant de confiance que les astronomes ont cherché la planète Neptune, et je me hasarde à prédire qu'ils seront autant couronnés de succès !" (Wallace 1871).

Cette remarque finale était une allusion à l'astronome allemand Galle : celui-ci avait cherché et trouvé la planète Neptune, après que le mathématicien français Le Verrier ait prédit son existence et sa position, à partir des perturbations de l'orbite d'Uranus, alors la dernière planète connue du système solaire -- un "classique" dans l'histoire des sciences, maintes fois cité pour son exemplarité en épistémologie.  
 Wallace poussait même la témérité jusqu'à publier un dessin hypothétique du papillon inconnu, en train de polliniser l'orchidée malgache
    Quant à la suggestion par Wallace d'une étroite parenté du papillon prédit par Darwin avec le grand sphingidé d'Afrique tropicale, Xanthopan morgani, bien connu pour sa longue trompe (environ 20 cm de long), elle était tout à fait judicieuse et prophétique.
    En effet, ce cryptolépidoptère (s'il est permis d'utiliser ce néologisme), fut découvert et décrit 41 ans (!) après la prédiction de Darwin : il appartenait bien à cette espèce, mais en représentait une sous-espèce nouvelle, que ses descripteurs, Rothschild et Jordan (1903), nommèrent Xanthopan morgani praedicta, c'est-à-dire "prédit", ce qui est amplement mérité. L'insecte a une envergure de 13 à 15 cm, il est d'une couleur de feuille morte légèrement rosée, et possède effectivement une trompe démesurée de 25 cm de long.


L'EXPOSITION
DES PAPILLONS